I. FISCALITÉ DES ENTREPRISES
1. Trois petits tours et puis s’en vont … Même l’Administration s’y perd dans le régime mère-fille !
Le 9 juin 2016, l’Administration a annulé un BOI [1] qu’elle venait de publier deux jours plus tôt !!
Ce revirement témoigne de la complexité de nos dispositifs légaux et de leur interprétation, tant jurisprudentielle que doctrinale.
Plus précisément, le BOI publié trop rapidement le 7 juin 2016 avait pour objet de reprendre dans la doctrine officielle de l’administration, une décision rendue par le Conseil Constitutionnel le 3 février 2016 [2] qui avait déclaré illégal l’article 145, 6-b ter du Code Général des Impôts (« CGI »).
Or, cette décision du Conseil Constitutionnel concernait l’article 145, 6-b ter du CGI dans sa précédente rédaction du 1er janvier 1993.
Pour mémoire, cet article, qui dans sa version de 1993 excluait les titres non assortis du droit de vote du régime mère-fille, a été considéré par le Conseil Constitutionnel comme contraire au principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques et à l’origine d’une différence de traitement selon que les distributions bénéficiaient à des filiales établies en France ou dans d’autres Etats de l’Union Européenne. En effet, la directive communautaire mère-fille [3] ne fait pas de distinction entre les titres assortis du droit de vote et les titres non assortis du droit de vote.
Pour autant, il faudra attendre que le Conseil Constitutionnel se prononce sur la conformité de l’article 145 du CGI dans sa rédaction du 31 décembre 2005 – qui fait, comme la précédente et sur les mêmes fondements, l’objet d’une QPC [4] actuellement pendante – pour que l’administration puisse valablement modifier sa doctrine officielle.
Pour mémoire, dans sa version 2005, l’article 145, 6-b ter du CGI exclut du régime mère-fille les titres non assortis du droit de vote sauf si l’actionnaire détient au moins 5 % des titres de la société distributrice, représentatifs du capital et des droits de vote.
Ce qu’il faut retenir :
– L’article 145, 6-b ter du CGI qui prévoit, dans sa rédaction en vigueur, que sont exclus du régime mère-fille les titres sans droit de vote, sauf si l’actionnaire détient au moins 5% des titres de la société distributrice, est soumis à un contrôle de conformité à la Constitution, qui sera prochainement tranché.
– Sur la base de cette décision, la doctrine administrative pourrait être modifiée pour préciser les conditions dans lesquelles les actions sans droit de vote bénéficient du régime mère fille.
– Pour mémoire, le Conseil d’Etat a considéré en 2014 [5] que le régime mère-fille s’applique dès lors qu’un actionnaire détient au moins 5 % du capital. En revanche, ce régime s’applique uniquement sur les titres assortis du droit de vote si cette proportion est inférieure à 5%. Ces arrêts n’ont pas été insérés dans la mise à jour de la doctrine administrative.
2. Le Comité consultatif du crédit d’impôt pour dépenses de recherche se concrétise
Le décret du 9 juin 2016 [6] a précisé la composition et les modalités de saisine du Comité consultatif du crédit d’impôt pour dépenses de recherche, créé par la Loi de Finances pour 2016.
Ce Comité qui est composé de représentants de l’administration fiscale, du ministère chargé de la recherche et du ministère chargé de l’innovation, a pour mission d’intervenir, en tant que médiateur, dans le cadre de désaccord persistants entre l’administration et le contribuable sur la réalité de l’affectation des dépenses à la recherche pour le calcul du crédit d’impôt recherche.
Le contribuable dispose d’un délai de 30 jours à compter de la réception de la réponse de l’administration à ses observations sur une proposition de rectification notifiée depuis le 1er juillet 2016.
Le Comité peut notamment convoquer le contribuable et demander un rapport complémentaire d’expertise technique sur la qualification des dépenses de recherche avant de formuler en séance, un avis à l’administration.
Ce qu’il faut retenir :
– L’Administration a publié le 9 juin 2016 un décret précisant la composition et les modalités de fonctionnement du Comité consultatif du crédit d’impôt pour dépenses de recherche.
– Le contribuable peut saisir ce comité en cas de désaccord persistant avec l’administration sur la nature des dépenses de recherches et leur affectation.
– Lors de la séance, le comité émet un avis qui sera notifié par l’administration au contribuable.
3. Nouvel épisode sur la qualification de « résident » pour l’application des conventions fiscales
Par un arrêt du 20 mai 2016 [7], le Conseil d’Etat semble confirmer le tournant amorcé par deux arrêts du 9 novembre 2015 [8] qui ont conclu à la non application des conventions fiscales internationales à des personnes exonérées d’impôt.
En effet, le Conseil d’Etat considère qu’une société exonérée d’impôt sur les sociétés, ou assujettie à une imposition forfaitaire modique ne peut être qualifiée de résidente fiscale au sens des conventions et ne peut, en conséquence, se prévaloir des dispositions prévues par les conventions fiscales.
Pour bénéficier de l’application d’une convention fiscale, la société/personne physique doit être qualifiée de résident fiscal, ce qui suppose d’être soumis à une imposition effective.
Cette position, conforme à celle adoptée en novembre 2015, soulève de nombreuses interrogations.
Comment seront traitées fiscalement les sociétés en situation déficitaire ?
Les personnes bénéficiant d’une exonération temporaire d’impôt ou celles disposant de très faibles revenus pourront-elles se prévaloir des dispositions conventionnelles ?
Ce qu’il faut retenir :
– L’arrêt du 20 mai 2016 du Conseil d’Etat semble confirmer sa position sur la qualification de résident fiscal au sens des conventions fiscales.
– Selon le Conseil d’Etat, être résident fiscal d’un Etat au sens d’une convention fiscale bilatérale est subordonné à une imposition effective.
– Ce nouvel arrêt soulève une fois de plus des interrogations pratiques, notamment sur les situations de déficit, d’exonération temporaire ou de non imposition en raison de faibles revenus.
II. FISCALITÉ DES PARTICULIERS
1. La CSG-CRDS constitue un impôt pour l’application des conventions fiscales internationales
Dans le cadre de la mise à jour de sa doctrine le 3 juin dernier [9], l’Administration fiscale a précisé les modalités d’élimination des doubles impositions afférentes aux prélèvements sociaux des non-résidents en intégrant une réponse ministérielle [10].
Sous réserve des dispositions conventionnelles, les contributions sociales (CSG-CRDS) sont assimilées à de l’impôt sur le revenu et sont couvertes par les dispositions qui visent à éliminer la double imposition.
Ainsi, les non-résidents qui sont imposés en France sur leurs revenus de source française tout en étant également imposables sur ces mêmes revenus dans leur Etat de résidence (ce qui peut être le cas des plus-values immobilières pour lesquelles il n’est pas prévu d’imposition exclusive), bénéficient d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt dû dans leur Etat de résidence pour un montant égal à l’impôt acquitté en France, montant comprenant non seulement l’impôt sur le revenu mais également les prélèvements sociaux.
Cette doctrine favorable aux personnes physiques domiciliées hors de France a toutefois une portée limitée. En effet, les administrations fiscales étrangères pourraient contester cette interprétation de la doctrine administrative française et refuser d’appliquer les stipulations conventionnelles au titre de la CSG et de la CRDS acquittées en France (tel est déjà le cas des autorités américaines).
En outre, certaines conventions fiscales conclues par la France –telles que les conventions signées avec le Royaume-Uni et Monaco- excluent déjà expressément la CSG et la CRDS des impôts auxquelles elles s’appliquent
Ce qu’il faut retenir :
– Les non-résidents percevant des revenus soumis à la CSG et à la CRDS en France sont, selon notre droit interne, autorisés à demander l’imputation de ces cotisations sur l’impôt qu’ils doivent acquitter dans leur Etat de résidence sur ces mêmes revenus.
– Cette imputation est toutefois expressément exclue par certains Etats (notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni et Monaco.
– Elle pourrait également être refusée par d’autres administrations étrangères.
2. Le système du quotient s’applique aux plus-values de cessions de titres, à condition qu’elles présentent un caractère exceptionnel
Depuis le 1er janvier 2013, les plus-values de cessions de valeurs mobilières des particuliers sont imposables au barème progressif de l’impôt sur le revenu, mais bénéficient du système du quotient qui permet d’atténuer la progressivité de l’impôt.
Par une réponse ministérielle du 9 juin dernier [11], l’administration précise que l’application du système du quotient aux plus-values de cession de valeurs mobilières et droits sociaux suppose que ce revenu puisse être qualifié d’exceptionnel :
– par sa nature, c’est-à-dire qu’il ne soit pas susceptible de se renouveler chaque année,
– par son montant, c’est-à–dire qu’il excède la moyenne des revenus nets d’après lesquels le contribuable a été soumis à l’impôt sur le revenu.
Ainsi, une plus-value ne peut pas être qualifiée de revenu exceptionnel par sa nature si le contribuable réalise de tels revenus de manière régulière, au titre des années antérieures et postérieures et ce, sans qu’il y ait lieu de rechercher si cette plus-value entre dans le cadre de la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières ou dans le cadre d’une gestion privée.
A noter : L’administration apprécie le caractère exceptionnel de la plus-value quant à son montant par référence à la plus-value nette, c’est-à-dire après application des abattements pour durée de détention.
Ce qu’il faut retenir :
– Le système du quotient s’applique aux plus-values de cession de titres ou de droits sociaux pour autant qu’elles présentent un caractère exceptionnel et ce, tant par leur nature que par leur montant.
3. La règle du premier entré premier sorti (« PEPS » ou « FIFO ») s’applique au calcul de la plus-value de cession de titres numérotés
En cas de cession de titres acquis à des dates différentes, la plus-value imposable est déterminée en considérant que les titres cédés les premiers sont ceux qui ont été acquis les premiers.
Cette règle dite du « PEPS » est indiscutablement applicable aux titres fongibles (c’est-à-dire non individualisables).
En revanche, jusqu’à un arrêt rendu 8 juin 2016 par le Conseil d’Etat, un doute subsistait concernant l’application de la règle PEPS aux cessions de titres identifiables (c’est-à-dire numérotés, inscrits sur un registre tenu par la société etc.).
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat tranche la question : la cession de parts d’une société de personnes est réputée porter en priorité sur les parts les plus anciennes alors même que ces parts sont numérotées et qu’il est possible d’établir la date exacte de leur acquisition ainsi que leur prix de revient.
Rendue dans le cadre d’une cession de parts d’une société de personnes, cette solution peut être étendue aux autres cessions de titres.
Ce qu’il faut retenir :
– La règle du PEPS s’applique au calcul de la plus-value de cession de titres numérotés.
————————————————–
[1] BOI-IS-BASE-10-10-10-20.
[2] Conseil constitutionnel, 3 février 2016, n°2015-520 QPC.
[3] Directive 90/435/CEE et 2003/123/CE
[4] Conseil d’Etat, 18 mai 2016, n°397316.
[5] Conseil d’Etat, 5 novembre 2014, n°370650, Sofina et 3 décembre 2014, n°363819, Société Financière Pinault.
[6] Décret 2016-766 du 9 juin 2016.
[7] Conseil d’Etat, 20 mai 2016, n°389994.
[8] Conseil d’Etat, 9 novembre 2015, n°370054 et n°371132.
[9] BOI-INT-DG-20-20-100 du 3 juin 2016.
[10] Réponse Ministérielle Narassiguin, n°7429, 15 janvier 2013.
[11] Réponse Ministérielle Frassa, n°17498, 9 juin 2016.